Imaginez un rocher de la taille d’un bus scolaire, tournant sur lui-même comme une toupie folle, à des millions de kilomètres de la Terre. C’est le nouveau défi de la sonde japonaise Hayabusa2 : atterrir en 2031 sur l’astéroïde 1998 KY26, dont les dernières observations révèlent qu’il est trois fois plus petit et deux fois plus rapide qu’on ne le croyait.
Une mission qui pourrait révolutionner notre compréhension des petits corps célestes… ou se solder par un échec retentissant.
En 2031, si tout se passe comme prévu, la sonde Hayabusa2 de l’Agence spatiale japonaise (JAXA) tentera un exploit sans précédent : se poser sur un astéroïde de seulement 11 mètres de diamètre, tournant sur lui-même en à peine cinq minutes.
Un scénario qui, il y a encore quelques mois, relevait de la science-fiction. Pourtant, les dernières données obtenues grâce aux plus grands télescopes du monde, dont le Very Large Telescope (VLT) de l’Observatoire Européen Austral (ESO), ont bouleversé les plans des ingénieurs et des astronomes. L’astéroïde 1998 KY26, cible de la mission prolongée de Hayabusa2, s’avère bien plus petit et bien plus rapide que toutes les estimations précédentes. Un changement de paradigme qui transforme une mission ambitieuse en un véritable casse-tête technique.
Un astéroïde qui défie les attentes
Jusqu’à récemment, les scientifiques pensaient que 1998 KY26 mesurait environ 30 mètres de diamètre et effectuait une rotation complète en 10 minutes. Des caractéristiques déjà complexes, mais gérables pour une sonde conçue pour explorer des astéroïdes de plusieurs centaines de mètres, comme Ryugu, visité en 2018. Pourtant, une étude publiée en septembre 2025 dans la revue Nature Communications, dirigée par l’astronome Toni Santana-Ros de l’Université d’Alicante, a révélé une réalité bien différente. « Nous avons découvert que la réalité de cet objet est complètement différente de ce qui avait été décrit précédemment », explique le chercheur. Grâce à des observations menées depuis le Chili, en Australie et en Espagne, son équipe a établi que l’astéroïde ne mesure en fait que 11 mètres de large – soit la taille d’un petit bus – et tourne sur lui-même en seulement cinq minutes. « Une journée sur cet astéroïde ne dure que cinq minutes ! », s’exclame Santana-Ros, soulignant l’extraordinaire rapidité de ce corps céleste.
Cette découverte a été rendue possible par l’utilisation combinée de plusieurs télescopes terrestres, dont le VLT de l’ESO, capable de détecter des objets extrêmement faiblement lumineux. « Nous n’avions jamais caractérisé un astéroïde de cette taille depuis le sol avec une telle précision », précise Olivier Hainaut, astronome à l’ESO et co-auteur de l’étude.
Les données radar et optiques ont permis de réviser non seulement la taille, mais aussi la nature de l’astéroïde : sa surface brillante suggère qu’il pourrait s’agir d’un bloc de roche solide, peut-être issu d’un fragment de planète ou d’un autre astéroïde. Cependant, les chercheurs n’excluent pas totalement la possibilité qu’il s’agisse d’un amas de débris faiblement agglomérés, une structure qui compliquerait encore davantage la manœuvre d’atterrissage.
Pourquoi cette mission est-elle si cruciale ?
1998 KY26 n’est pas un astéroïde comme les autres. Il appartient à une catégorie de petits corps célestes encore jamais explorés in situ. Toutes les missions spatiales précédentes, qu’il s’agisse de Hayabusa2 sur Ryugu ou d’OSIRIS-REx sur Bennu, ont ciblé des astéroïdes de plusieurs centaines, voire milliers de mètres de diamètre. « Ce sera la première fois qu’une sonde rencontrera un astéroïde de cette taille », souligne Santana-Ros. L’étude de ces objets est essentielle pour comprendre la formation du système solaire, mais aussi pour évaluer les risques liés aux astéroïdes géocroiseurs, capables de menacer la Terre. « Nous savons désormais que nous pouvons caractériser même les plus petits astéroïdes dangereux, comme celui qui a frappé Tcheliabinsk en 2013, qui était à peine plus gros que KY26 », ajoute Hainaut.
La mission Hayabusa2, initialement prévue pour explorer Ryugu, a été prolongée après le succès du retour d’échantillons sur Terre en 2020. Avec du carburant restant, la JAXA a décidé de pousser les limites de la technologie en visant 1998 KY26. « Cette mission nous permettra de tester nos capacités à étudier des objets très petits et très rapides, ce qui est crucial pour la défense planétaire », explique un porte-parole de l’agence japonaise.
En effet, si un astéroïde de cette taille venait à entrer en collision avec notre planète, les conséquences pourraient être locales mais dévastatrices. Comprendre leur structure et leur comportement est donc une priorité pour les agences spatiales du monde entier.
Un atterrissage plus difficile que prévu
Atterrir sur un astéroïde de 11 mètres, tournant à une vitesse vertigineuse, représente un défi technique colossal. « La manœuvre de touché, où la sonde embrasse brièvement la surface pour prélever des échantillons, sera bien plus difficile à réaliser que sur Ryugu », reconnaît Hainaut. La sonde devra s’approcher avec une précision extrême, en évitant de être éjectée par la force centrifuge ou de endommager ses instruments sur une surface potentiellement irrégulière. « Nous ne savons pas vraiment à quoi nous attendre, car nous n’avons jamais observé un astéroïde de cette taille de près », confie Santana-Ros.
Les ingénieurs de la JAXA travaillent déjà sur des scénarios alternatifs, comme le largage d’un marqueur ou une simple observation à distance, si l’atterrissage s’avère trop risqué. « Hayabusa2 a déjà prouvé sa capacité à relever des défis extrêmes, mais 1998 KY26 est une autre histoire », souligne un responsable de la mission. La sonde, dont les panneaux solaires déployés mesurent près de 6 mètres de large, devra naviguer avec une précision chirurgicale pour éviter de heurter l’astéroïde ou de être déséquilibrée par sa rotation.
Ce qui est incroyable, c’est que nous avons pu caractériser un objet aussi petit à l’aide de nos télescopes. Cela signifie que nous pourrons le faire pour d’autres astéroïdes à l’avenir, y compris ceux qui pourraient menacer la Terre. Nos méthodes pourraient avoir un impact majeur sur les futures missions d’exploration ou même d’exploitation minière des astéroïdes. » Toni Santana-Ros, astronome à l’Université d’Alicante.

Comparaison detailée entre l’astéroïde précédemment ciblé par la mission spatiale japonaise Hayabusa2,
162173 Ryugu, et 1998KY26. Hayabusa2 a prélevé des échantillons sur Ryuguen2018, puis les a ramenés sur Terre en 2020.Après cette mission couronnée de succès, 1998 KY26 a été choisi comme prochaine cible de Hayabusa2. Aujourd’hui, une nouvelle étude réalisée avec le Very Large Telescope (VLT) de l’ESO a montré que cet astéroïde ne mesure que 11 mètres de large, ce qui le rend beaucoup plus difficile à atteindre que prévu. Cette vue d’artiste met en évidence la différence de taille entre les cibles de Hayabusa2.
Après cette mission couronnée de succès, 1998 KY26 a été choisi comme prochaine cible de Hayabusa2. Aujourd’hui, une nouvelle étude réalisée avec le Very Large Telescope (VLT) de l’ESO a montré que cet astéroïde ne mesure que 11 mètres de large, ce qui le rend beaucoup plus difficile à atteindre que prévu. Cette vue d’artiste met en évidence la différence de taille entre les cibles de Hayabusa2.
Une coopération internationale sans précédent
La préparation de cette mission illustre l’importance de la collaboration entre les agences spatiales et les observatoires du monde entier. Les données recueillies par le VLT, mais aussi par des télescopes aux États-Unis, en Europe et en Australie, ont été croisées pour affiner les modèles de 1998 KY26. « Sans cette coopération, nous n’aurions pas pu obtenir des résultats aussi précis », insiste Santana-Ros. Cette approche collective pourrait bien devenir la norme pour les missions futures, notamment celles visant à dévier des astéroïdes potentiellement dangereux.
Entre 2025 et 2031, l’astéroïde sera difficile à observer depuis la Terre, car il sera trop proche du Soleil. Les scientifiques devront donc se fier aux données actuelles pour planifier la rencontre. « Nous avons six ans pour peaufiner nos stratégies, mais chaque détail compte », explique Hainaut. La sonde Hayabusa2, quant à elle, continuera son voyage vers 1998 KY26, avec un survol prévu de l’astéroïde 2001 CC21 en 2026, avant l’arrivée finale en juillet 2031.

Photo : Vue d’artiste illustrant la taille de l’astéroïde1998KY26 par rapport à l’un des télescopes du Very Large Telescope (VLT), dont le miroir principal mesure environ 8 mètres de diamètre.
Comme l’a montré une étude récente utilisant le VLT de l’ESO, 1998 KY26 ne mesure que 11 mètres de large, ce qui signifie que l’astéroïde pourrait tenir à l’intérieur de la structure du télescope qui l’a observé. Cette image comprend une personne à droite en bas pour donner une idée de l’échelle. La mission spatiale japonaise Hayabusa2 prévoit de rencontrer ce petit astéroïde dans six ans.
Que nous réserve l’avenir ?
Si Hayabusa2 parvient à se poser sur 1998 KY26, les échantillons prélevés pourraient révéler des secrets sur la composition des premiers blocs de construction du système solaire. « Ces petits astéroïdes sont des capsules temporelles, préservant des matériaux intacts depuis des milliards d’années », explique un chercheur de la JAXA. Même en cas d’échec de l’atterrissage, les données recueillies lors du survol seront inestimables pour les scientifiques.
Quoi qu’il en soit, cette mission marque un tournant dans l’exploration spatiale. « Nous entrons dans une nouvelle ère, où nous pouvons étudier des objets de plus en plus petits et de plus en plus rapides », résume Santana-Ros. Et si Hayabusa2 réussit son exploit, elle ouvrira la voie à des missions encore plus ambitieuses, peut-être vers des astéroïdes encore plus minuscules ou vers des cibles en rotation ultra-rapide.
En attendant, tous les regards sont tournés vers 2031, date à laquelle la sonde japonaise tentera l’un des atterrissages les plus périlleux de l’histoire de l’exploration spatiale. Une chose est sûre : que la mission soit un succès ou un échec, elle nous en apprendra davantage sur les limites de notre technologie et sur les mystères de l’univers.