Les astronomes entendent le bourdonnement des trous noirs les plus massifs de l’Univers

Tel un bruit de fond décelé au prix de décennies de mesures, les astrophysiciens ont révélé l’existence d’ondes gravitationnelles inédites. Ces déformations de l’espace-temps seraient engendrées par des couples de trous noirs supermassifs, lourds comme un milliard de soleils.

Jamais n’avait-on senti l’espace-temps vibrer à de si basses fréquences.

Le 29 juin 2023, les scientifiques de la collaboration internationale IPTA (pour International Pulsar Timing Array) ont annoncé des « preuves robustes » de l’existence d’ondes gravitationnelles faisant fluctuer doucement l’espace entre les étoiles de notre galaxie.

Prédites par la relativité générale d’Einstein, ces oscillations de l’espace-temps sont les plus lentes jamais détectées. Leur fréquence est si faible qu’en se déplaçant dans le cosmos, elles allongent et raccourcissent les distances entre les étoiles sur des périodes de plusieurs années.

Comprenez que si notre galaxie était une bruyante salle d’opéra, ces ondes gravitationnelles-là correspondraient à des notes plus graves que celles de la contrebasse, tandis que les ondes gravitationnelles communément détectées par les instruments Ligo et Virgo seraient plus aiguës que celles de la flûte traversière.

Le radiotélescope de Green Bank en Virginie-Occidentale a contribué à la mesure avec des dizaines d’autres instruments dans le monde. © NANOGrav/Green Bank

Les plus supermassifs

Qui dit basse fréquence, dit nouveau type de sources. « On ne peut pas trancher définitivement quant aux sources qui engendrent ce signal, mais notre meilleure explication est qu’il s’agit de fusions de trous noirs supermassifs », livre Luke Kelley, de l’université de Californie à Berkeley, chargé de l’équipe astrophysique du projet NANOGrav, composante américaine du consortium.

Avec quelle probabilité ? « Disons que s’il ne s’agissait pas de trous noirs binaires, alors il faudrait trouver une explication quant à l’endroit où ceux-ci se cachent. Et pourquoi on ne détecte pas le signal qu’ils émettent », ajoute l’astrophysicien. Le ton est précautionneux, mais le niveau de confiance élevé. « Ce serait la première preuve par l’observation de l’existence de trous noirs supermassifs binaires. »

Principe de la mesure. Voir aussi le paragraphe « 25 ans de mesures » ci-dessous. © Danielle Futselaar/MPIfR

La masse de ces astres est un record. Elle vaut des centaines de millions, voire des milliards de fois celle du Soleil. Bien supérieure aux 4,5 millions de masses solaires de SgrA*, le trou noir supermassif qui siège au centre de notre galaxie.

Logés au cœur de leurs galaxies respectives, lorsque celles-ci viennent à se mélanger, les trous noirs supermassifs révélés aujourd’hui se tournent lentement autour. À raison d’un tour en plusieurs années, ils créent d’amples vagues qui déforment l’espace-temps et se propagent dans le cosmos à la vitesse de la lumière.

Ce sont ces vagues — ou l’une de ces vagues — qui sont en train de traverser notre galaxie, et dont la preuve est apportée aujourd’hui. « Il est probable que le signal détecté soit la superposition d’ondes gravitationnelles créées par de nombreux couples de trous noirs supermassifs [un signal alors qualifié de « stochastique », NDLR].

Mais il est aussi possible qu’un couple unique de trous noirs supermassifs, situé dans le voisinage de notre galaxie en soit la principale source », commente Gilles Theureau, coordinateur pour la France de l’EPTA (European Pulsar Timing Array), composante européenne du consortium.

Vingt-cinq ans de mesures

Parce que ce signal fluctue très lentement, il a fallu accumuler des années d’observation pour le déceler. Vingt-cinq ans côté européen, en mettant à contribution les cinq plus grands radiotélescopes du continent, avec en figure de proue l’observatoire de Nançay, qui a fourni 70% des mesures. « Sans doute le plus gros résultat scientifique de ce radiotélescope », estime Gilles Theureau.

Quinze ans de mesures ont été réunies côté américain avec le recours à des instruments tels que l’antenne géante d’Arecibo, aujourd’hui détruite, ou l’antenne de l’observatoire Green Bank. Membres de la collaboration IPTA, Indiens et Australiens rapportent les mêmes conclusions, ce qui ajoute à la robustesse de la détection. Tout comme la Chine, pas encore membre mais dotée du puissant radiotélescope FAST, en service depuis 2017.

En 25 ans de mesures, le radiotélescope de Nançay, dans le Cher, a fourni la majorité des observations de pulsars pour l’Europe. © Letourneur/CRDP

Tous ces radiotélescopes ont observé des dizaines de pulsars millisecondes. Des astres denses, dont on connait quelque 150 spécimens dans notre galaxie, 68 ayant servi à l’étude côté américain, et 25 pour l’Europe.

La période de rotation de ces étoiles compactes est très rapide : elles envoient un flash lumineux toutes les quelques millisecondes. Mais surtout, elle est parfaitement régulière. Pour ainsi dire, les pulsars sont des horloges naturelles sans faille…

Sauf lorsqu’ils sont traversés par une onde gravitationnelle. « Nous avons détecté des changements inférieurs au millionième de seconde sur plus de vingt ans », décrit Antoine Petiteau, astrophysicien à l’institut IRFU du CEA.

On connait les instruments Ligo et Virgo constitués de deux bras chacun, longs de plusieurs kilomètres, et dont on mesure la déformation lorsqu’une onde gravitationnelle « haute fréquence » les traverse.

De la même manière, les pulsars forment ici un détecteur d’ondes gravitationnelles, naturel et géant, donc la longueur des bras équivaut aux distances qui séparent chacun de ces astres de notre planète Terre. Soit plusieurs centaines d’années-lumière.

Localisation des pulsars dans notre galaxie qui ont servi à l’étude américaine. En jaune, le Soleil. © NANOGrav

Nouvelle fenêtre gravitationnelle

« Cette détection est historique car elle ouvre une nouvelle fenêtre sur l’Univers », se réjouit Gilles Theureau. « C’est un peu comme si jusqu’à présent on avait observé l’espace en lumière visible et ultraviolette et que l’on devenait sensible aux ondes radio », compare Antoine Petiteau.

Dorénavant accessible, cette nouvelle gamme de fréquences gravitationnelles porte la promesse de distinguer, et localiser un à un, des couples de trous noirs supermassifs en train de fusionner.

Une observation qui permettra de mieux décrire la formation de galaxies géantes par fusions successives au fil des 13,8 milliards d’années qui jalonnent l’histoire de l’Univers.

Les astrophysiciens cherchent notamment à mieux mesurer à quelle vitesse grandissent véritablement les galaxies.

Vue d’artiste d’un couple de trous noirs générant des ondes gravitationnelles. © C. Carreau/ESA

« Moins d’une seconde après le big bang »

D’autre part, l’observation d’ondes gravitationnelles basse fréquence ouvre un pan très attendu par les théoriciens qui se penchent sur les tous premiers instants de l’univers. « Certains modèles en cosmologie prédisent ce qui s’est passé moins d’une seconde après le Big bang, mais ces théories manquent de contraintes observationnelles pour être validées ou écartées », explique Gilles Theureau.

Or, dans les signaux que le chercheur et sa communauté viennent de détecter, pourraient se cacher les indices sur l’état de la matière à ces instants primordiaux. « Dans les premiers instants après le big bang, on pense que la matière a connu des transitions de phase d’un état à un autre. Un peu comme l’eau lorsqu’elle passe de l’état liquide à l’état gazeuse, mais à des niveaux d’énergie inédits, vulgarise Antoine Petiteau.

Comme pour l’eau qui boue, imaginez alors des bulles qui s’entrechoquent ». Lorsque l’Univers n’était qu’une soupe de particules très chaudes, ces « chocs » entre « bulles » auraient pu émettre des ondes gravitationnelles aujourd’hui détectables.

Notre monde est-il traversé par ces vestiges du temps, sous la forme de lentes déformations du cosmos ?

Les scientifiques ont, pour y répondre, une nouvelle corde à leur arc.

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