Astéroïde de Tcheliabinsk

Ce que l’on sait du bolide tombé sur Tcheliabinsk le 15 février 2013

Il y a 10 ans aujourd’hui, un bolide céleste explosait dans le ciel de Sibérie.

Pour cet anniversaire, nous republions notre article consacré aux deux chutes majeures d’astéroïdes survenues au XXe siècle : celle de Tcheliabinsk, le 15 février 2013, et celle de la Toungouska, le 30 juin 1908.

Le 15 février 2013 sera peut-être retenu comme le jour où les astronomes ont commis leur plus grosse erreur de casting.

En cette date, alors que le jour se lève en Asie du Sud-Est, ils se préparent à la venue de l’astéroïde 2012 DA14.

L’objet a été découvert un an plus tôt à l’observatoire de la Sagra, dans le sud de l’Espagne, ce qui leur a laissé tout le temps d’en déterminer la trajectoire et la taille.

Les calculs sont formels. Ce rocher de 45 m de diamètre (depuis abaissé à 30 m) doit croiser la Terre dans la soirée du 15 février.

Autrement dit, c’est un géocroiseur. On pourrait même dire un géofrôleur…

Car les estimations s’affinent : 2012 DA14 va s’approcher à moins de 28 000 km de notre planète. Un record pour un astéroïde de cette taille puisque cela implique que l’astre doit traverser l’anneau géostationnaire. Cette ceinture à 36 000 km au-dessus de l’équateur, sur laquelle l’humain a positionné des centaines de satellites de télécommunication.

Voyageant du sud vers le nord, c’est au-dessus de l’Indonésie que 2012 DA14 passera au plus près du globe. Et le monde entier l’y attend à 19 h 25 min 49 s, heure universelle.

Une explosion dans le ciel de Sibérie

Seulement voilà. Quinze heures plus tôt, la préparation méticuleuse de son observation est subitement interrompue. Un bolide entre avec fracas dans l’atmosphère, au-dessus de l’ouest de la Sibérie.

Un autre astéroïde qui, lui, n’a pas évité notre planète. À 9 h 20 heure locale, le Soleil n’est pas encore levé quand une grosse boule de feu fend le ciel dépourvu de nuages. Gagnant rapidement en intensité, le météore produit plusieurs flashes intenses, éblouissants même puisque l’un d’entre eux brille autant que 40 soleils ! Puis, en 16 secondes, l’objet termine sa course sur fond de ciel bleu, laissant derrière lui une traînée de nuages épais.

Attirés par la vive lumière, les habitants de la ville de Tcheliabinsk se rendent à leurs fenêtres. Bien mal leur en prend car, comme la foudre lors d’un orage, la lumière a précédé le son.

Deux minutes plus tard, une violente détonation retentit, suivie d’une série d’autres pétards moins sonores. La première explosion suffit à enfoncer portes et fenêtres. Elle déclenche les alarmes des voitures et fait tomber la neige de certains toits, quand d’autres vont même entièrement s’effondrer. Des éclats de vitres brisées blessent les plus malchanceux du million d’habitants que compte la ville.

Le bilan fera état de 1 600 blessés, dont plus d’une centaine seront hospitalisés. Côté matériel, on compte 297 bâtiments endommagés, dont 6 hôpitaux et 12 écoles.

Russian Meteor 15-02-2013

Pure coïncidence

Malgré les moyens de surveillance spatiale dont nous disposons aujourd’hui, le météore russe vient ainsi de rappeler que le ciel peut encore frapper à l’improviste.

Car si dans les premiers instants on pense que ce bolide doit être lié à la venue de 2014 DA14 (aujourd’hui baptisé Duende) que l’on avait su prédire, il n’en est rien.

Les deux astres proviennent de deux zones opposées de la sphère céleste, l’un du nord, l’autre du sud. L’arrivée du bolide de Tcheliabinsk est donc une pure coïncidence. Mais surtout, jamais dans l’histoire contemporaine une zone densément peuplée n’avait été frappée par une chute d’une telle ampleur. Pour la première fois donc, le phénomène a été vu en direct par des dizaines de milliers de témoins, en plus d’être filmé par les webcams à bord de nombreuses voitures. Celles-ci sont communément employées en Russie pour prouver sa bonne foi en cas d’accident de la route, les fraudes aux assurances étant monnaie courante.

Plus de 300 fragments de météorite sont retrouvés dans la région, parmi lesquels une grosse météorite de 570 kg qui a plongé dans un lac. Un trou de seulement 6 m creusé dans le lac indique une incidence à faible vitesse, après freinage par l’atmosphère.
Un des fragments de la météorite de Tcheliabinsk est repêché le 16 octobre 2013. À la pesée, la roche se cassera en trois morceaux. © A. Kondratyuk

Des images vidéo précieuses pour les scientifiques.

Ensemble, elles permettent de dessiner les contours d’une explosion qui, un lendemain de la Saint-Valentin, n’avait rien d’un baiser russe : 10 000 tonnes (soit la masse de la tour Eiffel) lancées à 19 km/s (soit 35 fois la vitesse d’un Concorde) ont libéré, en se désintégrant à 30 km d’altitude,

30 fois la puissance de la bombe d’Hiroshima. Son diamètre ne dépassant pas la vingtaine de mètres, l’astéroïde de Tcheliabinsk s’est donc majoritairement vaporisé dans l’atmosphère.

Seules quelques centaines de kilogrammes de roches ont atteint le sol sous la forme de fragments épars. C’est le destin usuel des météoroïdes de taille inférieure à 50 m, préservant notre sol d’un brutal impact. Ce dernier cas est le plus terrible des scénarios car toute l’énergie emmagasinée dans le bolide est alors libérée en une seule explosion gigantesque.

Sans compter la multitude d’éjectas occasionnant des retombées destructrices dans les environs. Pulvérisé en l’air, Tcheliabinsk n’en demeure pas moins le météore le plus destructeur depuis 1908, année de chute de la mythique météorite de la Toungouska.

Explosion au-dessus de la rivière Toungouska

Pour celle-ci, prenez la même région du globe et recommencez.

Mais cette fois-ci, en ajoutant un ordre de grandeur.

Le matin du 30 juin 1908, à 7 h 17, le corps qui traverse le ciel au-dessus de la rivière Toungouska pierreuse, un affluent du grand fleuve sibérien Ienisseï, n’est pas vraiment plus rapide que celui de Tcheliabinsk. Mais il est plus volumineux, et donc bien plus massif.

Quelque 50 m de diamètre qui auraient, juge-t-on aujourd’hui, dégagé 10 fois plus d’énergie que Tcheliabinsk. Certaines études vont jusqu’à mentionner l’équivalent de mille bombes d’Hiroshima, si l’on se réfère à cette lugubre unité de mesure.

Explosant à moins de 10 km au-dessus de la croûte terrestre, donc plus près que le bolide de Tcheliabinsk, l’onde de choc aurait été indéniablement mortelle pour quiconque se trouvant dans le voisinage. Fort heureusement, la Sibérie, immense territoire de l’Empire russe, est peu densément peuplée.

Et l’événement a cette fois-ci lieu en pleine taïga. Mais à entendre les effets ressentis dans la petite localité de Vanovara, pourtant à 63 km au sud, on a froid dans le dos. Ou chaud. Quelques témoins ont ressenti le souffle brûlant de l’explosion, à tel point que leurs vêtements leur brûlent la peau !

Brûlé par l’onde de chaleur

Interrogé en 1927, l’un d’entre eux raconte : “Soudain, au nord, au-dessus de la route de la Toungouska, le ciel s’est fendu en deux, et très haut au-dessus de la forêt, il s’est couvert de feu. J’ai senti alors une grande chaleur, comme si ma chemise était en train de brûler ; cette chaleur venait du nord. J’ai voulu enlever ma chemise et la jeter au loin mais il y a eu une explosion dans le ciel. J’ai été projeté au sol, à quelques mètres du porche, et j’ai perdu conscience un moment.” C’est grâce à ce type de témoignage, recoupé par d’autres, que les scientifiques comprennent alors que le bolide s’est désintégré en altitude.

Certaines mesures attestent de l’événement.

En ce début de XXe siècle, des barographes ont tout juste été disposés à travers le monde. Sortes de baromètres enregistreurs, certains encaissent tour à tour une surpression de l’air, correspondant à l’onde de choc qui voyage à plus de 300 km/h.

À Irkoutsk, sur les bords du lac Baïkal, à 1500 km de là, un séisme est même enregistré.

Plus à l’ouest, en Belgique et en Angleterre, il fait encore nuit. Mais le fond du ciel se met à luire. Une lumière crépusculaire monte progressivement de sorte que pendant les premières nuits de juillet, il fait assez clair pour lire un journal, sans autre forme d’éclairage. En cause, des nuages noctiluques (visibles de nuit) situés à une altitude inhabituelle, reliquats de l’événement qui a ravagé la région de Toungouska.

Mais à l’époque, personne ne sait qu’un superbolide s’est désintégré au-dessus de la Sibérie. D’une nation à l’autre, l’information circule infiniment plus lentement qu’à l’ère des smartphones. Avant que la catastrophe ne soit extraite des quelques journaux locaux qui en ont fait le récit, il faut attendre des mois. Ou des années, en fait.

Jusqu’en 1921 pour qu’un minéralogiste du nom de Leonid Koulik, envoyé en Sibérie par l’Académie des sciences pour étudier la chute de météorites, ait vent de l’un de ces articles.

Paru en juin 1908 dans le Sibirskaya Zhin, le texte décrit la chute d’une énorme météorite dans la région de Tomsk, observée par les passagers d’un train. Il y est même écrit que ces derniers auraient vu l’objet au sol sans pouvoir en ramasser un morceau, tant il était incandescent.

Ni cratère ni débris

Avec le temps, de multiples témoignages s’accumulent. En plus d’autres indices et mesures scientifiques à l’échelle du continent.

Malgré tout, l’étude de la météorite de la Toungouska demeure compliquée. Les effets d’un météore, aussi puissant soit-il, ne peuvent mieux s’étudier qu’en se rendant sur place. Ce qui est chose ardue dans le cas de la Toungouska, en raison de son isolement géographique.

Dévoué à son enquête, Leonid Koulik parvient toutefois à monter une expédition en 1927 (en passant par le village de Vanovara).

Près de vingt plus tard, il découvre sur place une forêt dévastée. Deux mille kilomètres carrés de taïga — l’équivalent d’un département — ont été soufflés par l’onde de choc. Quelque 60 millions d’arbres (des mélèzes pour la plupart) sont couchés au sol.

La direction qu’indiquent leurs troncs pointe vers un vaste marais aux abords duquel Koulik entreprend la recherche d’un cratère d’impact. Il espère en outre pouvoir y ramasser au moins un fragment de la météorite. Mais il ne trouvera ni l’un ni l’autre. Et ce, malgré trois autres expéditions jusqu’en 1938.

La forêt de la Toungouska après la chute céleste de 1908. DR

Un siècle plus tard, on ne dispose tristement d’aucun échantillon de l’astéroïde.

Et force est de constater que l’enquête vouée à préciser le portrait du géocroiseur n’a pas pu aller très loin. D’autres seront partis à la recherche de fragments.

D’abord dans les années 1960, puis dans les années 2000 pour une équipe de l’université de Bologne.

Des sondages sont faits dans les profondeurs du lac Tcheko, situé à 6 km de l’épicentre du séisme, en quête de sédiments comportant des traces météoritiques. Sans succès. D’autres géologues avanceront même en 2007 que ce lac est lui-même un cratère d’impact secondaire. Mais pour le reste de la communauté scientifique, les pentes du bassin, mesurées avec des sonars, ne sont pas compatibles avec la chute d’une météorite.

Pour poser moins de mystères, il eût fallu que le bolide de la Toungouska frappe au plus près d’une ville. Oui, mais à quel prix ? Celui d’une véritable catastrophe humaine.

Si le corps céleste avait explosé au-dessus de Saint-Pétersbourg, il aurait dévasté l’ensemble de la ville et sa région. Un scénario qui, au vu de la rotation de la Terre, a manqué de se produire à 4 heures et demie près. Mais c’eut été jouer d’une terrible malchance. Car en réalité, le conte hollywoodien d’un astéroïde géant détruisant une métropole de plusieurs millions d’habitants tient plus du mythe. Autrement dit, il est statistiquement très peu probable. Un risque faible qui s’explique par la concentration des populations humaines sur de petites surfaces du globe.

Chaque astéroïde a d’abord deux chances sur trois de tomber dans un océan. Et pour le tiers restant, la moitié de population mondiale n’occupe que 1 % des terres émergées.

Dégâts continentaux

C’est en cela que la catastrophe de Tcheliabinsk était si exceptionnelle.

Un astéroïde d’une quinzaine de mètres, ne perce notre atmosphère qu’une fois par siècle environ, et qu’il le fasse au-dessus d’une ville est extrêmement rare.

Un bolide d’environ 50 m, comme dans le cas de la Toungouska, ne croise la Terre que tous les mille ans en moyenne.

C’est au-delà de cette taille qu’un impact peut occasionner des dégâts à l’échelle d’un continent.

Ainsi, il y a quelque 50 000 ans, la faune et la flore d’Amérique de Nord auraient mis plus d’un siècle à se remettre de la collision à l’origine du fameux Meteor Crater.

Percutant une zone aujourd’hui située dans l’Arizona, un astre de 100 m a creusé un cratère d’un diamètre de 1,2 km. Eût-il été dix fois plus grand, la catastrophe aurait été planétaire.

Car à présent, l’impact d’un astéroïde de plus de 1 km affecterait l’ensemble de l’humanité, même indirectement s’il venait à tomber loin de toute civilisation. Des ruptures de télécommunications seraient entre autres à prévoir et, à plus long terme, la quantité de poussières expulsées dans l’atmosphère induirait une chute de la production agricole.

Mais dormons sur nos deux oreilles.

Au 4 janvier 2020, 902 astéroïdes géocroiseurs supérieurs à 1 km ont été identifiés, quand les plus récentes études estiment que leur population totale se situe 906 et 1010. Entre 90 % et 99 % de ces “global-killers” ont donc été repérés.

Tombant sur Terre une fois tous les millions d’années, la chute d’un astéroïde de cette taille est exclue pour les cent prochaines années.

Restent à venir les répliques d’une Tcheliabinsk ou d’une Toungouska. Des astres qui pour l’heure sont trop peu visibles pour être catalogués dans leur intégralité. Espérons alors que, dans le grand Loto de la géographie terrestre, notre prochain ticket ne soit pas terriblement malchanceux !

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