Le deuxième exemplaire de la nouvelle fusée européenne s’est envolé ce 6 mars 2025 à 13h24 (heure de Kourou). À son bord, le satellite d’observation CSO-3 du ministère français des Armées. La réussite de ce vol annonce le début de carrière d’Ariane 6.
Cette fois-ci, elle est bien partie ! Ce 6 mars 2025, CSO-3 est devenu le premier passager commercial d’Ariane 6, le nouveau vaisseau amiral de l’Europe spatiale. Ce satellite de 3,6 t, construit par Airbus Defence and Space pour le compte de la Direction générale à l’armement, a rejoint sur une orbite héliosynchrone à 800 km son jumeau CSO-1, lancé par une fusée Soyouz le 19 décembre 2018.
D’une durée de vie de dix ans, CSO-3 fournira des images en très haute résolution pour l’armée de l’Air et de l’Espace. CSO-2, lancé par Soyouz le 29 décembre 2020, croise sur une orbite inférieure (480 km) et envoie des images encore plus précises. Avec ces satellites, chacun équipé d’un télescope pointé vers la Terre, le ministère français des Armées dispose d’un outil capable de détecter des objets de la taille d’un char « et même d’en déterminer le modèle », assure un responsable.

À T+1h 6 min 47 s de vol, CSO-3 s’est séparé d’avec l’étage supérieur d’Ariane 6. La désorbitation de ce dernier a eu lieu 2 heures après le décollage. Lors du tir de qualification de la fusée VA 262 le 9 juillet 2024, la défaillance de l’unité de propulsion auxiliaire n’avait pas rendu la chose possible.
Courbe d’apprentissage
Ariane 6 aurait dû décoller lundi 3 mars 2025, mais une vanne dysfonctionnelle d’un tuyau d’avitaillement en ergols avait nécessité d’arrêter la chronologie, alors qu’il ne restait que 26 min et 29 s dans le décompte final. « Un problème très localisé et qui se trouve dans le segment sol, en l’occurrence le pas de tir… C’est la jeunesse du système. Cela fait partie de la courbe d’apprentissage propre à tout nouveau lanceur », expliquait le soir même David Cavaillolès, le nouveau président d’Arianespace, aux journalistes présents au centre spatial guyanais (CSG).
Dans le courant de la nuit précédente, une équipe réduite d’une quinzaine de personnes s’était activée sur l’ensemble de lancements n° 4 (ELA-4) pour procéder à une opération délicate : reculer sur ses rails et sur plusieurs centaines de mètres le gigantesque portique de 8 000 t qui protège le lanceur pour lui laisser le champ libre. En conditions réelles, c’est-à-dire lors d’un lancement, cette manœuvre n’avait été effectuée qu’une seule fois, au moment du vol inaugural du 9 juillet 2024.
L’opération a due être répétée une troisième fois dans la nuit pour le décollage de ce jeudi 6 mars 2025.
Prochain tir en août
Il n’y a pas si longtemps, il fallait acheminer Ariane 5 depuis le bâtiment d’assemblage final jusqu’au pas de tir ELA-3 (aujourd’hui inactif). Les nouvelles procédures permettent d’aller beaucoup plus vite en intégrant Ariane 6 à l’horizontal. « Beaucoup de travail a été fait post FM1 [le tir inaugural, NDLR] pour optimiser l’enchainement des opérations et assurer la cadence de lancements prévue à la fin de l’année », explique Carine Leveau, directrice du Transport spatial au Cnes.
Le temps du développement est terminé, celui des opérations commerciales débute. Ariane 6 a d’ailleurs du pain sur la planche puisque quatre nouvelles missions sont programmées. Le prochain exemplaire de la fusée FM3 doit être livré au CSG par ArianeGroup dès la fin mai 2025.
Cependant, son passager, le satellite météo Metop SGA1, qui transporte la charge utile Sentinel 5 (programme européen d’observation de la Terre Copernicus), ne sera disponible qu’en juillet. Ce qui a contraint Arianespace à planifier le lancement dès le mois suivant.
Jusqu’à huit lancements en 2026
Toujours pour le programme Copernicus, Sentinel 1D utilisera Ariane 6 pour rejoindre l’orbite héliosynchrone.
Une paire de satellites de géo-positionnement Galileo de première génération figure également sur la liste des passagers d’Ariane 62. Et une autre première est attendue cette année avec le baptême en vol de la version d’Ariane 6 à quatre propulseurs d’appoint (Ariane 64). Elle doit lancer une première grappe de satellites de la constellation de connectivité Kuiper d’Amazon. Cela reste pour l’instant le plus gros contrat décroché par Arianespace car il doit mobiliser dix-huit exemplaires du nouveau lanceur.
Dès 2026, la cadence de lancements doit rapidement monter. Selon Toni Tolker-Nielsen, le patron du Transport spatial à l’Agence spatiale européenne (ESA), jusqu’à huit missions d’Ariane 6 pourraient avoir lieu l’an prochain. Néanmoins, des aménagements sont nécessaires. « Le temps entre deux tirs est déterminé par le reconditionnement du pas de tir. Pour parvenir à cette cadence, certaines améliorations sont à apporter sur toute la partie sol autour de lui », précise ainsi le responsable. L’objectif est toujours d’arriver à un délai de six semaines entre deux lancements « voire moins. Nous sommes sur une ‘learning curve’ [courbe d’apprentissage] et cela va plutôt bien », note-t-il.
D’ici deux ans, l’objectif est d’atteindre de neuf à dix lancements par an mais « Ariane 6 pourrait aller jusqu’à douze tirs par an. Et vu la situation géopolitique actuelle, je suis convaincu que nous avons besoin de lancer beaucoup plus. L’Europe doit assurer sa propre sécurité et il n’y pas de sécurité (télécoms, positionnement et observation) sans spatial », insiste Toni Tolker-Nielsen.
Voilà qui nécessitera obligatoirement une rallonge budgétaire. À la suite de l’accord passé à Séville en novembre 2023, l’exploitation d’Ariane 6 est assurée jusqu’au 42e exemplaire (FM42). Lors de la prochaine conférence ministérielle sur l’Espace en novembre 2025 à Brême, les États membres devraient logiquement décider la poursuite du soutien à l’exploitation.