Une étrange pulsation radio détectée dans la Voie lactée

En fouillant des données d’archives du Murchison Widefield Array, en Australie, une équipe a mis au jour un signal radio d’un type totalement inédit. Son origine, à 4000 années-lumière, reste mystérieuse.

C’est un flash intense qui apparait dans le ciel pendant quelques dizaines de secondes toutes les 18 minutes. Un phénomène étrange, relaté dans une étude publiée le 26 janvier 2022 dans la revue Nature, qui n’a pas fini de questionner les scientifiques.

Quelle est l’origine de ce signal en provenance de la constellation australe de la Règle, enregistré 71 fois entre janvier et mars 2018 ? « Un objet qui apparait puis disparait sur plusieurs heures, c’est du jamais vu ! » assure l’astrophysicienne Natasha Hurley-Walker (université de Curtin, Australie).

Son équipe a repéré la source énigmatique en fouillant dans les archives du radiotélescope Murchison Widefield Array. Baptisée GLX J162759.5-523504.3 (GLXJ16 en abrégé), celle-ci semble s’être tue depuis. « Nous n’avons aucun signe d’activité avant ou après cette période. Il pourrait s’agir d’une source qui se comporte ainsi que pendant un temps très limité, ce qui la rendrait d’autant plus rare. »

En soi, recevoir un signal radio de l’espace n’a bien sûr rien d’anormal. Il en existe de toutes sortes. Certains irréguliers qui viennent du Soleil ou d’autres étoiles, d’autres très rapides que l’on nomme Fast Radio Bursts. « Ici, la fréquence et la durée des flashes ne sont pas du tout les mêmes ! » explique Jérôme Novak (observatoire de Paris), qui n’a pas participé à l’étude. En fait, c’est la première fois qu’un signal présente ce rythme atypique…

Un astre très petit…

Quelle est donc alors cette étrange source GLXJ16 ? Selon Natasha Hurley-Walker et ses collègues, il s’agirait d’un astre relativement petit (150 000 km de diamètre, soit environ 10 fois plus que la Terre et 10 fois moins que le Soleil) situé à 4000 années-lumière et doté d’un champ magnétique intense.

Un trou noir ?

Les trous noirs stellaires sont en effet de petits objets, mais ils ne peuvent briller que s’ils sont entourés d’un disque d’accrétion alimenté par une étoile. Tout ceci est bien plus grand que 150 000 km…

Une naine blanche ?

Ces étoiles débarrassées de leurs couches extérieures peuvent effectivement être petites à ce point, cependant il est difficile de leur imaginer un champ magnétique aussi important que celui de GLXJ16…

La source GLXJ16 est localisée sur cette vue de la Voie lactée. © ICRAR/Curtin/GLEAM

Il faut donc se tourner vers d’autres suspects : les étoiles à neutrons, ces cœurs stellaires qui se sont effondrés sur eux-mêmes et compactés au point d’atteindre la densité des noyaux d’atomes (environ 100 millions de tonnes par centimètre cube). Et en particulier celles qui tournent sur elles-mêmes en produisant un flash lumineux à chacune de leur rotation et que l’on appelle pulsar ou magnétar.


Les magnétars ont la préférence de Natasha Hurley-Walker et son équipe parce que leur champ magnétique est plus fort. Par ailleurs, ils n’émettent pratiquement pas de rayons X et c’est aussi le cas de GLXJ16. Il y a un hic, cependant : les magnétars sont aussi les suspects numéro un pour expliquer l’origine des Fast Radio Bursts (FRB). Or, comme leur nom l’indique, ceux-ci sont rapides !
Comment un même type d’objet pourrait-il à la fois expliquer l’existence d’un signal de 1 seconde émis toutes les 10 secondes au plus (FRB) et d’un autre signal toutes les 18 minutes seulement, pendant 30 à 60 secondes ?
… et très ralenti
Un magnétar qui aurait considérablement ralenti pourrait faire l’affaire. « L’existence d’un tel objet est possible en théorie. Il se pourrait même qu’un magnétar cesse de tourner », assure Micaela Oertel, de l’observatoire de Paris. Sauf que « nous ne le verrions certainement pas ! » poursuit la chercheuse. En effet, chez les magnétars, c’est la vitesse de rotation qui donne suffisamment d’énergie pour émettre une pulsation d’ondes radio. Un spécimen de 18 minutes de période n’est pas censé rayonner assez pour être vu à 4000 années-lumière… Or, GLXJ16 est extrêmement brillant !
Peu importe. Pour Natasha Hurley-Walker, il faut suivre jusqu’au bout la piste des magnétars : « D’une manière ou d’une autre, notre objet doit convertir l’énergie magnétique beaucoup plus efficacement que tout ce que nous avons vu auparavant. Son champ magnétique très fort doit lui fournir l’énergie nécessaire pour briller autant. » Pour s’en convaincre, elle va regarder à nouveau dans la direction de GLXJ16. Car après tout, ses résultats proviennent de données d’archives datant d’il y a quatre ans. « Comprendre un objet quand nous découvrons l’existence plusieurs années après le phénomène, c’est très difficile. Si nous l’observons en temps réel, nous pourrons sûrement résoudre le mystère », assure l’astrophysicienne.

Sur la piste d’objets semblables

Mais la meilleure solution serait de lui trouver des congénères. « Si nous n’avons jamais découvert d’objets semblables, c’est avant tout à cause d’un biais dans nos méthodes de recherche », explique Jérôme Novak. Les radiotélescopes à hautes fréquences recherchent des types d’astres que nous connaissons déjà, comme les pulsars ou les magnétars : des objets qui clignotent toutes les quelques secondes. Un signal à basse fréquence qui ne se produit que toutes les 18 minutes passe donc inaperçu… à moins de vraiment le chercher.

Natasha Hurley-Walker pose sur le site du radiotélescope Murchison Widefield Array. Courtesy N. Hurley-Walker

Natasha Hurley-Walker et son équipe estiment que d’ici quelques années plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines d’objets similaires à GLXJ16 seront connus. Avec le réseau MeerKat en Afrique du Sud, le Murchinson Widefield Array formera bientôt le Square Kilometre Array, dont la surface collectrice atteindra un kilomètre carré. Capable d’effectuer des relevés célestes des dizaines de fois plus vite que les réseaux de radiotélescopes actuels, et avec une résolution et une sensibilité quatre ou cinq fois meilleures, il devrait révolutionner l’étude du ciel à basse fréquence.

L’exceptionnelle source de la constellation de la Règle deviendra probablement banale, mais nul doute que d’autres mystères surgiront !

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