Euclid livre ses 1ères images

Les premières images de la mission Euclid viennent d’être publiées. À travers cinq cibles, le télescope spatial européen démontre ses capacités hors du commun. L’astronome Jean-Charles Cuillandre explique comment sont traitées ses données et ce que l’on attend pour la suite du programme.

« Je suis tombé de ma chaise quand j’ai vu les premières images », s’émerveille Jean-Charles Cuillandre. L’astronome a traité les premières données d’Euclid. Ce télescope spatial de 1,2 m de diamètre, tourné vers la cosmologie, doit en particulier étudier la matière noire et l’énergie sombre.

Lancé le 1er juillet 2023, l’engin s’est placé à 1,5 million de kilomètres de la Terre au point de Lagrange L2, tout comme le télescope James Webb.

Des images de test pour Euclid

Il faut profiter de ces premières images, car ce n’est pas de sitôt que l’on reverra une nébuleuse détaillée par Euclid. Pour sa mission, le télescope va éviter de viser la Voie lactée, ainsi que la lumière zodiacale et de la Voie lactée.

« Il n’y a qu’un tiers du ciel compatible avec son programme scientifique. En fait, les cinq images que l’on publie sont toutes situées en dehors de la zone du grand relevé prévu. Leur but est de démontrer les capacités du télescope », souligne Jean-Charles Cuillandre.

Grand champ et haute résolution

Ce qui frappe immédiatement, c’est le niveau de résolution des images. « Les étoiles ont une largeur de 0,14 seconde d’arc », précise l’astronome – soit la taille apparente d’une pièce de 1€ placée à 34 km ! Euclid est capable de produire en une fois des images de 600 millions de pixels à cette résolution dans le visible. Cela couvre une zone environ 1,5 fois plus large que la pleine Lune. Les images en infrarouge font, quant à elles, 65 Mpx.

L’amas globulaire NGC6397 est le deuxième amas le plus proche de la Terre. Il est situé à 7800 années lumière. Aucun télescope ne peut le photographier en entier avec une telle résolution. © ESA/Euclid
Un zoom sur le centre de l’amas globulaire NGC6397. © ESA/Euclid

Pour comparaison, le télescope spatial Hubble montre des détails « seulement » 2 fois plus fins avec sa caméra WFPC3, et surtout son champ de vision couvre 275 fois moins de surface ! C’est ce qui fait toute la différence entre ces deux télescopes et les rend complémentaires.

« Quand on fait des relevés très profonds avec les grands télescopes, le champ de vision est très petit. On peut tomber par hasard sur un filament plus riche en galaxies et être ainsi biaisé », explique Jean-Charles Cuillandre.

Euclid permettra donc de mieux étalonner ce que l’on voit à travers d’autres télescopes. Il doit scanner un tiers du ciel, en passant 70 minutes sur chaque zone avec différents filtres dans le visible et l’infrarouge. « De plus, il y aura trois champs profonds couvrant 10 à 20 degrés carrés chacun », précise le chercheur. Ce sont ces données en particulier qui seront utilisées pour étalonner les relevés les plus profonds déjà existants. « La majorité de la science sortira justement de ces champs profonds », estime Jean-Charles Cuillandre.

La signature Euclid

« Nous avons fait un choix de palette de couleurs propre à Euclid. Le bleu correspond au visible, le vert à la bande Y dans l’infrarouge (1 µm), et le rouge à la bande H (1,6 µm). Ainsi la couleur des étoiles est proche de la réalité », explique Jean-Charles Cuillandre. De même qu’un œil averti reconnait immédiatement une image de Spitzer, de Hubble ou du JWST, il aura donc désormais une « signature Euclid ».

Pour le visible, le télescope capte la partie orange de ce domaine. Les nuages d’hydrogène omniprésents dans l’Univers apparaissent ainsi en bleu, alors qu’on les voit rouges habituellement. « J’ai été assez surpris par le rendu coloré même sur une cible comme la Tête de cheval. Je m’attendais à quelque chose de plus plat avec l’utilisation des données infrarouges », note l’astronome.

La tête de Cheval par le satellite Euclid. © ESA/EUCLID/NASA/J.-C. CUILLANDRE/ G. ANSELMI

L’aspect des étoiles est une autre caractéristique d’Euclid. Elles sont très contrastées et présentent des aigrettes à 6 branches en raison du support du miroir secondaire tenu par trois mâts.

Notez enfin que malgré le très grand contraste de l’instrument, on voit qu’il n’est pas conçu pour aller pointer dans des champs d’étoiles : les plus brillantes d’entre elles occasionnent des reflets qui apparaissent comme des fantômes circulaires bleus sur les photos. « Ces reflets sont liés à la lame dichroïque utilisée pour séparer la lumière visible et la lumière infrarouge vers les deux instruments d’imagerie d’Euclid », détaille Jean-Charles Cuillandre.

Plongée dans l’Univers profond

Passé cette phase de mise en route, Euclid va maintenant arpenter les zones du ciel les plus sombres et les plus vides. Ses images seront donc moins spectaculaires. Il faut s’attendre à d’immenses champs de galaxies à perte de vue. « Sur chaque pointé d’Euclid, il y aura 200 000 détections dans le champ et 50 000 auront assez de signal pour permettre une bonne exploitation scientifique », souligne Jean-Charles Cuillandre.

Avec un temps de pose 4 fois plus long que sur les autres images, l’amas de galaxies de Persée dévoile 1000 galaxies dans l’amas et plus de 100 000 à l’arrière-plan. © ESA/Euclid
Ci-dessous un zoom sur un amas de galaxies lointain à l’arrière-plan. © ESA/Euclid

Au bout de trois ans, le télescope devrait avoir couvert la totalité de la zone qu’il doit scanner. « Pour le moment, l’Agence spatiale européenne (ESA) a décidé de se donner 6 mois pour voir si le télescope fonctionne aussi bien que prévu. À l’issue de cette période, il sera décidé comment le temps supplémentaire sera utilisé. Il a en tout cas été parfaitement lancé par la fusée Falcon 9 de Space X et dispose donc de réservoirs pleins », précise l’astronome. On peut donc espérer voir plus d’images spectaculaires après cette phase initiale.

Dans l’immédiat, Jean-Charles Cuillandre espère que ces premières photos auront un écho médiatique. L’ESA décidera peut-être alors de pointer occasionnellement des cibles spectaculaires pour partager avec le public. À noter que, pour impliquer le public, les données d’Euclid devraient être mises à disposition tous les ans.

À l’avenir, on peut même espérer des images un peu plus détaillées. Les étoiles sont si fines qu’il sera possible quand il y aura assez de données de faire du « drizzle ».

Cette technique permet d’augmenter la résolution quand on dispose d’une série d’images pour une zone donnée avec d’infimes décalages. Elle est d’ailleurs régulièrement utilisée avec Hubble.

Euclid a un partenaire au sol

Au Chili, l’observatoire américain Vera Rubin est sur le point d’être mis en service avec son télescope de 8,4 m, le LSST. Il va accomplir une mission comparable à Euclid en scannant le ciel toutes les semaines. « Depuis 2014, j’œuvre au rapprochement avec son équipe, souligne Jean-Charles Cuillandre. On est sur le même sujet, mais avec des approches différentes. Il y a un intérêt à associer nos données. Cette collaboration nous permet de maximiser chaque mission et nous travaillerons ensemble lorsqu’il y a lieu. »

Le télescope spatial européen gardera en tout cas pour lui la résolution, et des images d’un contraste hors norme. Il y a très peu de diffusion à travers l’instrument. « Avec Euclid, on fait de l’imagerie grand champ sur des objets à faible brillance de surface, et ça, c’est vraiment inédit », résume Jean-Charles Cuillandre.

La galaxie IC 342 est une galaxie spirale assez comparable à notre propre Voie Lactée. En l’observant dans l’infrarouge, Euclid a permis de mieux caractériser ses étoiles les moins massives et les plus froides. Notamment celles cachées derrière des nuages de poussières. © ESA/Euclid
Zoom de la photo précédente. © ESA/Euclid

La galaxie de Barnard, une galaxie naine irrégulière satellite de la Voie lactée, a également été la cible du nouveau télescope spatial européen.

La galaxie de Barnard est située à 1,6 million d’années-lumière. Beaucoup de galaxies que visera Euclid par la suite lui ressembleront, mais elles seront plus lointaines. © ESA/Euclid
Un zoom sur le haut de la galaxie de Barnard. © ESA/Euclid
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