Les astronomes observent une collision entre deux exoplanètes

Deux planètes plus massives que la Terre se sont percutées ! Telle est la conclusion à laquelle aboutit une équipe d’astronomes à partir d’observations d’une jeune étoile faites dans le spectre visible et infrarouge. Fruit d’une collaboration entre professionnels et amateurs, cette découverte participe à l’étude des impacts géants et leur rôle dans la formation des planètes.

A-t-on assisté à un « accident » cosmique en direct ? Des chercheurs européens et américains aidés par des amateurs aguerris (dont des Français) pensent en effet avoir observé une collision entre deux exoplanètes, à 1850 années-lumières de la Terre. L’événement se serait produit autour de l’étoile de type solaire ASASSN-21qj, située dans la constellation de la Poupe, et âgée de seulement 300 millions d’années.

Longue baisse de luminosité et sursaut infrarouge

Tout commence en août 2021, lorsque des astronomes du programme d’observation du ciel ASAS-SN (Univerté d’Ohio, États-Unis) rapportent une baisse soudaine de luminosité de l’étoile dans le visible. Cela intrigue particulièrement une équipe de chercheurs anglais, dont Grant Kennedy de l’University of Warwick, co-auteur de l’étude publiée dans Nature : « Avec Matthew Kenworthy [ndlr : premier auteur, Université de Leiden, Pays-Bas], nous avons commencé à nous intéresser à ce système stellaire. Nous avions déjà travaillé sur des cas similaires, et souvent la baisse de luminosité d’une étoile est provoquée par de la matière qui passe devant elle ».

Mais en octobre 2021, un amateur finlandais, Arttu Sainio, remarque ce qui semble être une anomalie. En fouillant dans les données du télescope spatial WISE, il s’aperçoit que depuis plus de 2 ans et demi, l’étoile connaît un sursaut d’émission dans l’infrarouge, d’environ 4 %.

Pour les chercheurs, ces deux observations contradictoires sont liées : « il pourrait s’agir de deux événements totalement indépendants l’un de l’autre, explique Edward Gomez de l’Observatoire Las Cumbres (États-Unis) qui a coordonné les observations dans le visible, mais étant rares, il est pratiquement impossible qu’ils se produisent à moins de trois ans l’un de l’autre ».

Une hypothèse est alors privilégiée : il s’agît certainement d’une collision entre deux exoplanètes orbitant autour de l’étoile ASASSN-21qj !

Grant Kennedy, Matthew Kenworthy, et Arttu Sainio, trois des découvreurs de la collision d’exoplanètes.

Une collision suivie d’une éclipse

Selon les modèles, les deux exoplanètes à l’origine de la collision pesaient plusieurs dizaines de masses terrestres (des « super-Terres » ou « mini-Neptunes ») et gravitaient à une distante de 2 à 16 unités astronomiques de l’étoile.

Lors de l’impact, un grand nuage de débris très chaud d’une taille équivalente à 750 fois le rayon de la Terre se serait formé, et aurait ainsi produit le rayonnement infrarouge observé. En passant devant l’étoile quelque 2 ans et demi plus tard, ce nuage l’aurait éclipsé provoquant alors la baisse de luminosité dans le visible repérée

nterprétation des observations de l’étoile ASASSN-21qj, menées sur plus de deux ans et demi depuis la Terre (située à droite, dans le polongement de la bande grise, sur ce schéma).

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Pour Quentin Kral, astronome à l’Observatoire de Paris qui n’a pas participé à l’étude, « cette hypothèse est intéressante car elle ne nécessite qu’un seul événement, une collision, pour expliquer deux phénomènes qui pourraient apparaître distincts à première vue : un excès infrarouge et une éclipse complexe qui varie en temps et longueur d’ondes. »

Un scénario alternatif pourrait être la présence d’un nuage de poussière chauffé par l’étoile, « produit par des collisions d’exocomètes par exemple, et l’éclipse pourrait être due à un objet transitant plus loin de l’étoile. Mais cela invoque deux phénomènes assez rares, ce qui rend ce scénario alternatif hautement improbable. » Même son de cloche auprès des auteurs : « nous avons estimé que les autres scénarios étaient trop alambiqués pour être plausibles car ils nécessitent une configuration et une séquence d’événements bien spécifique, affirme Grant Kennedy ».

Des planètes massives et gorgées d’eau ?

Si l’hypothèse d’une collision semble être la plus convaincante, comment être sûr qu’elle a bien impliqué des planètes ? « Nos calculs montrent qu’il est peu probable que les deux objets entrant en collision soient des corps plus petits, par exemple des comètes, en raison de la quantité d’énergie libérée, répond Edward Gomez. »

Mais il reste encore des zones d’ombre : selon Kennedy, la composition de ces planètes est plus incertaine : « nous suggérons simplement que de l’eau pourrait être présente, car les corps purement rocheux auraient des températures plus élevées que celles que nous avons observées. »

Modèle informatique décrivant la collision entre les deux exoplanètes, avec la création d’un gros nuage de poussières et d’un résidu chaud dans les heures qui suivent.

Des précédents incomplets

Dans tous les cas, l’étude de cette collision enthousiasme la communauté : « c’est très intéressant pour en apprendre plus sur la formation planétaire, explique Quentin Kral ». Grant Kennedy abonde : « nous nous attendons à ce que des collisions entre planètes se produisent, la formation de la Terre et de la Lune en est la meilleure preuve, et nous avons eu des preuves indirectes dans d’autres systèmes par le passé : BD +20 307Kepler-107c ou encore ID8 dans NGC 2547. Toutefois, ces observations ne portaient que sur les matériaux rejetés lors de la collision. Cette découverte nous rapproche, avec l’observation potentielle du nuage post-impact, de ce qui se passe réellement lors de ces collisions. »

Des données récoltées par des amateurs

C’est aussi un bel exemple de collaboration fructueuse entre professionnels et amateurs.

En plus de la contribution essentielle du finlandais Arttu Sainio, une équipe de Français (Stéphane Charbonnel, Olivier Garde, Pascal Le Du, Lionel Mulato et Thomas Petit) rassemblée autour du projet 2SPOT a utilisé un télescope hébergé au Chili par DeepSkyChile pour réaliser l’analyse spectrale de l’étoile hôte. « Cela a permis de confirmer qu’il s’agit d’une étoile normale semblable au Soleil, explique Kennedy. »

Matthew Kenworthy ajoute : « ces spectres étaient l’une des pièces du grand puzzle qui explique toutes les observations que nous avons faites à partir de nombreux télescopes, et la capacité des amateurs à réagir rapidement a été cruciale à cet égard ».

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