La mission européenne Juice s’élance à la découverte de l’océan de Ganymède

A partir du 13 Avril, la sonde Juice doit décoller vers Jupiter. Objectif de cette première mission européenne vers la planète géante : étudier ses lunes glacées pour tenter de caractériser leur habitabilité. Avec une attention particulière sur la plus grosse de toutes : Ganymède.

En janvier 1610, alors qu’il pointe sa lunette vers Jupiter, Galilée remarque quatre points lumineux qui tournent autour de la planète.

Un peu plus de 413 ans après la découverte de ces quatre lunes « galiléennes », la sonde européenne Juice (pour Jupiter Icy Moons Explorer) s’élance vers Jupiter.

Pour l’occasion, une plaque commémorative reproduisant les travaux du savant italien est placée sur l’une des couvertures thermiques de l’engin. D’une masse de 6,1 t, dont 3,65 t d’ergols, Juice doit décoller à partir du 13 avril 2023 à bord de l’avant-dernière fusée Ariane 5. Avec, en cas d’imprévu, une seconde fenêtre de tir en août 2023.

Juice représente un défi scientifique : elle part étudier la magnétosphère jovienne, vingt fois plus intense que celle de la Terre, et son influence sur les potentielles conditions d’habitabilité des trois satellites glacés Ganymède, Europe et Callisto (de respectivement 5 260 km, 3 120 km et 4 800 km de diamètre). L’accent sera mis sur Ganymède.

Arrivée en 2031 autour de Jupiter, la sonde se satellisera autour de lui en 2034, après l’avoir survolé à douze reprises (auquel il faut ajouter deux survols d’Europe et vingt-et-un de Callisto).

Ganymède est le plus gros satellite du Système solaire et l’eau liquide piégée sous sa glace y serait quatre à six fois plus importante que sur Terre. Mais pourquoi le privilégier plus qu’Europe, qui lui aussi cache un océan sous sa croute glacée ?

« Pour l’astrobiologie, le satellite Europe est le plus intéressant, concède Olivier Witasse, le responsable scientifique de Juice. Mais envoyer une mission vers lui est techniquement compliqué, car Europe est situé dans la ceinture de radiations de Jupiter. » Ce satellite sera tout de même visité dès 2030 par la sonde américaine Europa Clipper, qui doit décoller en octobre 2024.

La mission de la Nasa est estimée à 5 milliards de dollars, alors que Juice n’a coûté « que » 1,6 milliard d’euros.

Les survols réalisés par des sondes depuis 1979 ont suggéré l’existence d’un océan caché sur Ganymède. La mission Galileo a conforté cette hypothèse grâce à ses mesures du champ de gravité. © Nasa/JPL-Caltech//ESA

Plus proche de Jupiter que Callisto, Ganymède est aussi plus actif géologiquement, et c’est la seule lune galiléenne à posséder un champ magnétique. « Cela en fait un cocktail intéressant, c’est pourquoi nous l’avons choisi… précise Olivier Witasse. Les astronomes veulent étudier les endroits dans le Système solaire où les conditions d’habitabilité sont potentiellement présentes. »

L’habitabilité, c’est la capacité d’une planète à abriter la vie. « Habitable » ne signifie pas « habitée ». La recherche de la vie extraterrestre ne figure donc pas dans les objectifs scientifiques de Juice.

Un territoire à revisiter

Entre 1973 et 2007, sept sondes, dont les missions américaines Voyager 1 et Voyager 2, ont exploré par le système jovien.

Dernière en date : Juno, à poste depuis 2016, se concentre sur l’étude de la planète géante.

Mais Galileo, entre 1996 et 2003, est la seule à avoir mené une observation in situ des quatre lunes galiléennes. Elle a notamment confirmé l’hypothèse d’un océan sous-glaciaire sur Europe, avancée en 1979 par Voyager 2.

De même, elle a révélé celui de Ganymède, mais sans en dévoiler les caractéristiques. « Concernant l’océan de Ganymède, on ignore son épaisseur et sa composition, indique Olivier Witasse. On sait juste qu’il y a de l’eau salée liquide, mais sans connaitre si elle se trouve à 50 ou à 100 km de profondeur. »

Sur le satellite Europe, les données récoltées sont un peu meilleures, mais elles demandent, là aussi, à être précisées. Dans les deux cas, l’épaisseur de la banquise et la profondeur de l’océan sont estimées pour l’instant « à quelques dizaines de kilomètres ».

La présence d’eau liquide serait du même ordre que sur Ganymède, mais la glace pourrait y être plus fine. Les deux mondes présentent toutefois de nettes différences. « Europe est plus de type terrestre que Ganymède », car il y a plus de roches.

En revanche, il n’a pas de champ magnétique, contrairement à Ganymède. « C’est cela qui va être passionnant à comprendre : pourquoi les satellites galiléens affichent-ils de telles différences ? Et quand on étudie quelque chose, c’est toujours bien d’avoir différents points de mesure », s’enthousiasme le responsable scientifique de Juice.

Callisto sera ce troisième point.

Dépourvue d’activité géologique, sa surface est semblable à celle de notre Lune, et il est le plus éloigné de Jupiter. Il est donc moins soumis à la magnétosphère et aux marées joviennes. Mais là aussi, les données manquent. « Callisto est un astre assez mort, mais les observations de Galileo sont ambigües. La grande question est : y a-t-il un océan d’eau liquide dans Callisto ?

Si oui, alors nous le caractériserons. Callisto peut réserver de belles surprises », estime le chercheur.

Huit ans de voyage pour Juice

Cette première mission européenne vers Jupiter est aussi un défi technologique.

Douze ans vont s’écouler entre son lancement et son terme. Juice mettra 8 ans pour parcourir 2 milliards de kilomètres avant son insertion sur orbite jovienne.

Pour accomplir sa tâche, elle dispose d’une dizaine d’instruments dont la conception a mobilisé deux mille personnes, majoritairement en Europe. Afin de se prémunir des radiations, elle est protégée « par un blindage spécifique, constitué d’une feuille de plomb sur un sandwich d’aluminium », détaille Cyril Clavel, chef de projet Juice chez Airbus DS.

Ses instruments doivent aussi émettre le moins possible d’ondes électromagnétiques pour ne pas fausser les données enregistrées sur les champs magnétiques de Jupiter et de Ganymède. L’alimentation électrique est assurée par 85 m2 de panneaux solaires qui fourniront 790 W de puissance, « soit l’équivalent d’un grille-pain ». Ces panneaux sont actuellement les plus grands construits par Airbus. Ils confèrent à la sonde une envergure de 30 m et lui permettent de capter l’énergie du Soleil, malgré une distance de 780 millions de kilomètres.

Pour rejoindre sa destination, la mission Juice aura recours à l’assistance gravitationnelle planétaire à quatre reprises : celle de la Terre en août 2024, puis de Vénus en août 2025. Puis elle reviendra dans notre direction en septembre 2026 et en janvier 2029. Après être restée trois ans autour de Jupiter, Juice se satellisera autour de Ganymède de décembre 2034 à septembre 2035. Une première, car « on n’a jamais mis en orbite une sonde autour d’une lune qui n’est pas la nôtre », conclut Cyril Clavel. L’aventure de Juice ne fait que commencer…

Gabriel Tobie, planétologue au CNRS et membre de l’équipe Juice :

« Nous allons sonder ces océans cachés »

Pourquoi est-ce intéressant d’étudier la magnétosphère de Jupiter pour comprendre les lunes glacées ?

Gabriel Tobie : L’existence d’un océan sous-glaciaire sur Europe, Ganymède et Callisto a été révélée grâce aux mesures de champ magnétique obtenues par la sonde Galileo entre 1996 et 2003. À chaque survol, on a pu noter une déviation du champ magnétique de Jupiter au voisinage d’Europe et de Callisto. Cela suggérait l’existence d’une couche conductrice à l’intérieur créant une perturbation magnétique. L’amplitude de l’induction magnétique observée indique l’existence d’une couche ayant une conductivité électrique comparable à l’eau salée des océans terrestres. L’induction est plus compliquée à interpréter sur Ganymède, qui possède son propre champ magnétique. Pour séparer l’effet d’induction magnétique, créé par Jupiter, du champ magnétique interne, Juice doit mesurer précisément les champs magnétiques de Jupiter et de Ganymède.

Quels instruments ausculteront Ganymède ?

Tous, mais durant la phase orbitale, les instruments de mesures géophysiques – le gravimètre 3GM, l’altimètre Gala et le radar Rime – seront prioritaires. Ils ne peuvent fonctionner qu’au plus près de Ganymède, en dessous de 1000 km.

Qu’allez-vous essayer d’y débusquer ?

Comme on connait l’importance du champ magnétique terrestre, il est intéressant d’étudier comment celui de Ganymède s’est mis en place. Il s’agit aussi de déterminer l’environnement des océans salés enfouis sous la glace. Il y a de l’eau comme sur Terre, mais dans des conditions physico-chimiques différentes. Sur Europe, on devrait observer des matériaux frais en surface qui apportent des informations sur la composition de l’océan interne. La glace est plus fine que sur Ganymède  : 10 à 30 km selon les prédictions théoriques. Pour Ganymède, on s’attend à une épaisseur de 50 à 100 km, mais nous n’avons pas d’information précise. C’est ce que Juice devra déterminer. Son spectro-imageur Majis identifiera peut-être des zones en surface enrichies en sels, nous apportant des informations complémentaires sur la composition de l’océan.

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