Mystère autour des signaux radio tardifs en provenance de trous noirs

Si une étoile se hasarde trop près d’un trou noir supermassif, elle se fait déchirer par son attraction gravitationnelle. Ce processus entraine l’émission de nombreux signaux lors de la dislocation. Mais des ondes radio émises des mois, voire des années après l’évènement viennent d’être découvertes…

Deux ans de retard… Lorsqu’un trou noir supermassif déchire une étoile, les modèles prédisent pourtant que des ondes radio sont émises juste après que l’astre eut été mis en lambeaux…

Mais l’équipe d’Yvette Cendes, du Centre d’astrophysique Harvard-Smithsonian (États-Unis), vient de rapporter la détection d’ondes radio émises plus de deux ans après la dislocation stellaire !

Encore inconnu il y a un an, ce phénomène semble en fait courant dans l’Univers.

De plus en plus de données pointent vers l’existence d’émissions radio tardives suite au déchiquetage d’une étoile par les plus imposants des trous noirs. Pourquoi ce retard à l’allumage ? Mystère.

« On a du mal à comprendre qu’un signal puisse surgir comme ça, des années après », s’étonne Clément Bonnerot. Cet astrophysicien à l’université de Copenhague est un spécialiste des évènements de « rupture par effets de marée », le nom donné au mécanisme de déchirement d’une étoile par un trou noir.

Rupture par effet de marée

La plupart des grandes galaxies ont en leur centre un trou noir plusieurs millions, voire plusieurs milliards de fois plus massifs que notre Soleil. La gravité d’un tel trou noir est si intense que rien de ce qui s’en approche ne peut lui réchapper.

Si d’aventure une étoile se fait prendre au piège, son destin est scellé : « La partie de l’étoile la plus proche du trou noir supermassif subit une attraction gravitationnelle bien plus forte que sa partie la plus éloignée », détaille Clément Bonnerot.

L’étoile subit une élongation, une « spaghettification », qui l’étire jusqu’à la rupture. Elle se déchiquète alors en un filament de gaz qui s’enroule autour du trou noir et forme un disque d’accrétion.

En s’enroulant autour du trou noir, le gaz devient très chaud. « Il émet donc des rayonnements dans toutes les longueurs d’onde : en visible, en rayon X, en radioLes ondes radio proviennent de l’interaction entre le gaz de la partie du disque la plus éloignée du trou noir et celui déjà présent autour du trou noir avant cet évènement », complète l’astrophysicien.

Vue d’artiste de la dislocation d’une étoile par un trou noir. © DESY, Science Com. Lab

Ce que l’on observe depuis la Terre n’est donc pas la destruction de l’étoile à proprement parler, mais le rayonnement émis par le disque d’accrétion.

Parmi tous les évènements de rupture par effet de marée détectés, peu ont montré des émissions radio.

« Les rares fois où ça avait été le cas, toutes les données suggéraient que les ondes radio étaient émises peu de temps après la dislocation stellaire. Aucun modèle actuel n’explique les émissions radio tardives que l’on a trouvées », assure Assaf Horesh (université hébraïque de Jérusalem, Israël), premier découvreur de ce phénomène.

Une accumulation d’émissions radio retardées

Les premières observations d’émissions radio retardées obtenues par Assaf Horesh et son équipe datent de 2021.

Elles proviennent de l’évènement ASASSN-15oi, qui a eu lieu autour d’un trou noir supermassif situé à plus de 700 millions d’années-lumière de la Terre.

« En fait, cet évènement a engendré non pas une, mais deux émissions radio tardives ! s’enthousiasme Assaf Horesh. La première, six mois après que l’évènement ait été découvert, et l’autre quatre ans après. » Les ondes radio détectées après six mois étaient même 20 fois plus intenses que les ondes radio émises par le disque d’accrétion au tout début de l’évènement.

L’astrophysicien Assaf Horesh est le premier découvreur de signaux radio tardifs en provenance d’un trou noir. © Hebrew Univ. of Jerusalem

Motivée par cette découverte, l’équipe s’est mise immédiatement en quête d’autres signaux de ce genre. En quelques semaines, ils ont mis la main sur iPTF16fnl, un évènement de rupture par effet de marée qui s’est produit au centre d’une galaxie à plus de 200 millions d’années-lumière. L’émission radio serait arrivée environ 5 mois après.

En comptant les autres découvertes de ce type, le bestiaire d’émissions radio différées n’a de cesse de s’agrandir. Au point qu’il fait dire aux astronomes, comme Yvette Cendes, « que ce phénomène pourrait être beaucoup plus commun qu’on ne le croit ».

Les hypothèses sur son origine commencent à pleuvoir. La plus simple, qui voudrait que les émissions radio retardées soient issues d’une deuxième (ou d’une troisième) étoile lacérée, peut être balayée rapidement. « Si tel avait été le cas, on n’aurait pas observé seulement des émissions radio, mais aussi des signaux dans d’autres longueurs d’onde, notamment dans le visible. Et on n’a rien vu de tel », explique la chercheuse.

Le phénéomène pourrait être beaucoup plus fréquent qu’on ne le pense, selon Yvette Cendes, du Centre d’astrophysique Harvard-Smithsonian. © F. Loojesteijn

Être ou ne pas être… formé depuis le début ?

Alors, quelles hypothèses reste-t-il ?

La première d’entre elles voudrait que des jets issus de l’extérieur du disque d’accrétion aient bien été émis dès le début de l’évènement. Mais qu’ils aient été bloqués par une enveloppe de gaz entourant le trou noir supermassif.

Ainsi, ils n’ont pas pu interagir avec le gaz environnant pour engendrer des émissions radio. « Cette enveloppe de gaz provient d’une partie du gaz contenu dans l’étoile initiale. Suite à sa destruction, du gaz reste proche du trou noir et forme le disque d’accrétion. Le reste du gaz, lui, s’échauffe, et se met à gonfler », révèle Clément Bonnerot.

Ce gaz chauffé forme alors une enveloppe qui s’étend au point d’englober entièrement le trou noir et le disque d’accrétion. « Le volume de la bulle augmente jusqu’à ce que sa densité diminue suffisamment pour libérer le jet, qui peut alors produire des ondes radio. »

Autre scénario envisagé : les émissions radio auraient été émises dès le début de l’évènement, mais reçues plus tard. « On peut imaginer que le jet n’ait pas une direction fixe, mais qu’il change avec le temps », poursuit Clément Bonnerot. En effet, le jet est toujours émis perpendiculairement au disque d’accrétion, mais l’orientation même du disque peut changer.

On parle de précession. « Et donc il est possible qu’originellement le jet n’ait pas été émis en direction de la Terre, mais qu’il ait fini par la croiser après que sa direction ait changé », explique le chercheur.

Un jet maintenant dirigé vers la Terre

La vitesse du signal capté par Yvette Cendes laisse également penser qu’il pourrait ne pas être retardé. « Cette émission radio qu’on a trouvée se déplaçait à la moitié de la vitesse de la lumière, précise la chercheuse. Or, c’est le premier signal de ce type que l’on détecte avec une telle vitesse. La plupart ont une vitesse bien inférieure : de l’ordre de 10 % de la vitesse de la lumière. Et le reste, environ 1 % des évènements, affiche une vitesse relativiste [proche de la vitesse de la lumière, NDLR]. »

Sauf que les jets relativistes se dirigent dans une direction très peu évasée, comme un tube. Et les chances qu’un tel jet soit émis pile en direction de la Terre sont minces. En revanche, la vitesse du jet diminue avec le temps et ainsi il s’élargit. « Au vu de la vitesse intermédiaire du jet découvert par Yvette Cendes, il est possible qu’il se soit évasé au cours du temps au point que la Terre se trouve maintenant sur son chemin », propose Assaf Horesh.

En revanche, Assaf Horesh ne se satisfait pas de telles hypothèses pour expliquer les signaux radio que son équipe a détectés. « Dans notre cas, l’émission aurait eu lieu bien après le déchirement de l’étoile. Cela serait dû à une diminution de la densité du disque d’accrétion au cours du temps. » Car le disque d’accrétion serait incapable de former un jet s’il est très dense, mais, à mesure que du gaz tombe dans le trou noir, alors il s’amenuise et devient de plus en plus susceptible d’émettre des ondes radio.

Pour trancher entre toutes les possibilités qui existent, ou même en établir de nouvelles, il va falloir observer bien plus d’émissions radio potentiellement retardées. « Ce qui est bien avec les évènements de rupture par effet de marée, glisse Clément Bonnerot, c’est qu’ils peuvent être observés en temps réel, puisqu’ils ne durent que quelques mois, au plus quelques années. »

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