Une découverte dans le Centaure suggère l’existence d’exoplanètes coorbitales

Et si l’on avait grandement sous-estimé le nombre d’exoplanètes dans la Voie Lactée ? Dans la constellation du Centaure, à 370 années-lumière, une planète de l’étoile PDS 70 semble accompagnée sur son orbite par une congénère en formation.

Combien d’exoplanètes partagent-elles ainsi leur orbite autour de leur étoile ?

Imaginez qu’une autre planète que la Terre fasse le tour du Soleil en 365 jours. Notre planète partagerait son orbite, et notre Système solaire compterait non pas une planète en zone habitable – c’est-à-dire, à une distance de l’étoile rendant possible la présence d’eau liquide – mais deux. Deux planètes habitables, sur la même orbite ?

L’hypothèse a tout de la science-fiction et, bien sûr, jamais pareilles sœurs jumelles n’ont été détectées autour d’une étoile. La découverte que vient de faire l’équipe d’Olga Balsalobre-Ruza (Centre d’Astrobiologie de Madrid) la rend pourtant crédible…

Une étoile dans le Centaure

Pour la première fois, l’astronome et ses collègues ont en effet mis au jour la possible sœur « coorbitale » d’une exoplanète. Cette planète, dont l’existence doit encore être confirmée, se trouve dans le système de PDS 70, situé à 370 années-lumière de la Terre dans la constellation du Centaure. PDS 70 est une étoile très jeune, son système planétaire est au même stade de développement que ne l’était le système solaire voici 4,5 milliards d’années.

Il abrite deux planètes géantes confirmées – PDS 70b et PDS 70c – encore entourées du cocon de gaz et de poussières à partir duquel elles se sont formées.

Parce qu’il constitue un excellent laboratoire pour ausculter un système planétaire en formation, le système de PDS 70 est la cible de plusieurs instruments terrestres et spatiaux, dont l’immense réseau ALMA (Atacama Large Millimeter Array), situé au Chili et sensible aux ondes radio.

Le télescope spatial James Webb vient d’ailleurs d’y déceler de la vapeur d’eau dans la partie interne du disque protoplanétaire, à seulement 160 millions de km de l’étoile, une région où des planètes terrestres rocheuses pourraient se former.

L’équipe d’Olga Balsalobre-Ruza a étudié des données de PDS 70 collectées par ALMA dans l’objectif de déceler des nuages de poussière sur les orbites des deux planètes géantes. Et ce, dans des zones bien particulières de ces orbites : les points dits de Lagrange L4 et L5.

Les zones lagrangiennes (notées de L1 à L5), sont des régions particulièrement sables de l’orbite de toute planète, où de la matière peut s’accumuler.

Sur son orbite, aux points L4 et L5, Jupiter a ainsi piégé toute une population d’astéroïdes appelés les Troyens.

PDS 70b, entourée d’un cercle, partage son orbite (ellipse) avec un nuage de poussière qui pourrait abriter une jeune planète (cercle en pointillés). PDS 70c, l’autre planète avérée du système, est visible en bas, tout près de la bordure de la partie brillante du disque protoplanétaire. Crédit : ALMA (ESO/NAOJ/NRAO) /Balsalobre-Ruza et al.

« Voilà deux décennies, la démonstration théorique a été faite qu’il pouvait exister des Troyens partageant l’orbite des exoplanètes et que ces Troyens pouvaient tout à fait être aussi massifs que la planète elle-même », explique Olga Balsalobre-Ruza.

Et justement, « nous avons détecté une accumulation de poussière pile au point de Lagrange L5 de l’orbite d’une des deux planètes, PDS 70b » se félicite la chercheuse.

La masse de ce nuage est comprise entre 0,03 et deux fois celle de notre Lune, « mais comme ALMA n’est sensible qu’aux toutes petites poussières de moins d’1 millimètre, et que nous sommes certains que ces petits grains sont accompagnés de bien plus gros calibres, il est tout à fait possible que que s’y trouve une planète fraîchement formée. Bien plus massive, mais que nous ne pouvons pas voir directement dans les données d’ALMA » poursuit-elle.

Vers le système solaire ultime

Pour Sean Raymond, théoricien de l’Université de Bordeaux, notamment spécialiste des planètes co-orbitales, « c’est un très beau travail, mené par une très bonne équipe qui œuvre depuis des années pour mettre la main sur des exo-Troyens. ».

Pour l’instant, rien ne permet de dire si cette matière détectée sur l’orbite de PDS70b provient d’une population d’astéroïdes réduits en poussière ou s’il s’agit d’un objet plus gros en croissance, comme une protoplanète. Mais une chose est sûre : cette dernière hypothèse est tout à fait plausible.

« Les simulations indiquent que des planètes co-orbitales peuvent croître par collision de petits corps à l’intérieur des points de Lagrange des planètes géantes gazeuses, poursuit le chercheur de Bordeaux. Dans un système avec une planète dominante, comme c’est le cas pour PDS 70b, il peut même exister non pas une, mais deux planètes coorbitales, une à chaque point de Lagrange. Dans certaines configurations très exotiques, on peut même faire coexister plus de 20 planètes de même masse sur une seule et même orbite ! » PDS 70 b tourne à 23 unités astronomiques de son étoile et n’est donc pas située dans sa zone habitable. Mais sa possible planète coorbitale a de quoi stimuler l’imagination des chercheurs.

Sean Raymond a d’ailleurs déjà conçu ce qu’il nomme le « Système solaire ultime », dans lequel la zone habitable d’une étoile est occupée par quatre planètes géantes (chacune entourée de quatre lunes telluriques). Chacun de ces mini systèmes naviguant sur une orbite partagée avec, à chaque fois, deux systèmes binaires de Terre, « cela fait neuf mondes habitables par orbite ! » explique le chercheur.

L’un des systèmes planétaires conçu par le théoricien Sean Raymond. Crédit : S. Raymond

Les 200 milliards d’étoiles de la Voie Lactée pourraient-elles être entourées de cohortes de planètes regroupées sur des orbites comme des perles sur des colliers ? Les possibilités de vie extraterrestres se comptent-elles par milliards dans la galaxie?

Ce n’est pas si simple. « Certes, les planètes co-orbitales se forment très facilement. Cependant, elles ne survivent probablement pas toujours, tempère Sean Raymond. Nous pensons notamment que la grande majorité des super-Terres [des planètes telluriques, mais beaucoup plus massives que la Terre, NDLR] subissent une phase tardive de collisions géantes, qui déstabilisent toutes les planètes co-orbitales. Les interactions de marée entre une étoile et les planètes proches peuvent également déstabiliser ces planètes. »

En attendant PLATO

Cependant, quelques-unes au moins de ces prometteuses perles originelles ont probablement survécu aux chaos planétaires. Ce sont elles que traquent à présent les chasseurs de monde. Sean Raymond prend date : « Je prédis que la mission PLATO de l’ESA sera celle qui trouvera le plus grand nombre de ces planètes co-orbitales. Le meilleur endroit pour chercher est dans les systèmes comme Trappist-1, qui montrent des signes de migration orbitale [un phénomène qui encourage la formation des planètes co-orbitables, NDLR]. Ou mieux encore dans les systèmes où les planètes sont plus éloignées de leur étoile – et donc peu sensibles aux effets de marée qui pourraient les déstabiliser. PLATO est équipé pour trouver ces systèmes. »

L’interféromètre ALMA est installé sur la plateau de Chajnantor, dans les Andes chiliennes. Crédit : Y. Beletsky/ESO

En attendant, l’équipe d’Olga Balsalobre-Ruza doit encore confirmer la détection autour de PDS 70b. Certes, c’est à ce jour la détection d’ExoTroyens la plus convaincante, « mais on aimerait bien sûr que le signal soit encore plus fort » concède Sean Raymond.

« Nous devons observer à nouveau le nuage de poussière en 2026 pour mesurer son mouvement. S’il se déplace avec la planète PDS 70 b, il sera confirmé qu’il co-orbite avec elle ». Alors débutera la chasse aux exoplanètes en colliers de perles.

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